La traversée du Super Servant 4
Avant-propos :
Ce que je livre ici et sans filtre, ce sont les arcanes du monde du yachting, ou plus précisément mon vécu de cet univers fermé et secret, autant par tradition que par les closes fixées sur les contrats d'enrôlement, puisque toute fuite est passible de poursuites. Si je vous raconte sans détour ni exagération notre quotidien sur ces navires, ce n'est pourtant que mon histoire personnelle, elle n'est sans doute pas commune à tous les autres yachts, bien que…
Ceci n'est pas un journal de bord officiel, j'y ai laissé toute liberté à ma plume, pour exprimer avec mon humour acerbe, mes états d'âmes. S'il m'arrive de manquer de mesure en revanche ce qui est relaté ici l'est sans ajout fictif, tout est authentique.
Jour 1 lundi 26 avril 2021
Nous avons mouillé l'ancre la veille dans la baie du Marin tout au sud de la Martinique. Nous étions arrivés là au terme d'une traversée de 23 heures et quelques 240 miles nautiques entre Simpson Bay à St Maarten et ce petit havre de paix où je serais bien resté quelques jours de plus.
Ces longues traversées sans l'armateur et ses invités, repartis comme à leur habitude avant que le yacht ne s'aventure loin des côtes, sont toujours un moment de récréation pour l'équipage qui peut enfin profiter de sa passion. C'est cette dernière qui justifie tant d'heures et de jours difficiles, au service de nantis pas toujours conscient que l'équipage aussi est fait de chair et d'os et parfois, c'est étrange, peut avoir besoin de s'alimenter, dormir et peut être même de temps à autre faire entrer de l'air dans leur poumons.
C'est donc hier soir, après une journée mouvementée à subir encore une fois les caprices du « boss », en retournant au yacht à bord de notre annexe, que j'ai découvert le Super Servant 4. Notre transporteur est d'un type un peu particulier. C'est une sorte de cale flottante, d'environ 200m de long, qui a l'étrange faculté de couler sans faire naufrage. Mi cargo, mi sous-marin, il peut faire disparaître sous la surface la plus grande partie de son pont principal et cela afin de permettre aux yachts et voiliers de monter à son bord sans l'aide du moindre engin de levage.
Debout à sept heures, nous avons lancé les machines à la demie pour lever l'ancre quinze minutes plus tard, en direction du Super Servant 4, au mouillage, à moins de deux cents mètres de nous. Nous avons reçu l'ordre d'embarquer à 8h15 et étions en positions et amarrés une demi-heure plus tard. Puis vient le tour de deux voiliers et d'un petit yacht d'une vingtaine de mètres. A bord nous attendaient déjà, deux Maxi yachts de 50m, le E/V dont je ne sais pas ce que veut dire le nom à part peut-être : Envie de Vomir ? Et le DB9.
Oui vous l'aurez compris le proprio de ce dernier, aime les Anglaises, celles qui ont des roues, pas celles qui sortent bourrées des pubs à dix heures du soir à Antibes.
La solidarisation du yacht au pont du cargo se fait en trois étapes, qui prennent la journée et la matinée suivante. D'abord, ont amarre le yacht encore à flot, puis on fait émerger progressivement le Super Servant 4 pour sécuriser les yachts avec des étais, les uns après les autres, dans l'ordre de leur tirant d'eau, du plus grand au plus petit bien sûr.
Quand les quatorze yachts, voiliers et annexes sont enfin posés et que le pont est totalement hors de l'eau, le chef de pont marque à la craie, la position déterminée à coup de maillet sur la coque, des étais définitifs. Une fois posés, ils sont soudés au pont et le yacht est serré par des sangles de grande taille.
Cette dernière étape terminée, nous pourrons alors, enfin partir.